Le Congrès inaugure le domaine des études de la participation du public en démocratie

Par Jean-Michel Fourniau

Nous avions annoncé un événement inaugural pour la recherche francophone sur la participation du public et la démocratie participative. De l’avis même des participants, le Congrès du Gis, avec la création de la revue Participations, aura tenu ses promesses. Ce double événement a mis en évidence l’ampleur nouvelle dans les sciences humaines et sociales des questions relatives au renouvellement de la démocratie. Qu’il s’agisse d’affronter les défis de la crise financière ou de la crise écologique, d’interpréter le sens des transformations des mouvements sociaux et des formes de la critique sociale, d’évaluer ce que font aux institutions les multiples expérimentations en matière de délibération et de participation politique ou encore de statuer sur les effets de la participation du public aux processus décisionnels, il y a là tout un champ de questions qui demandent tout à la fois des bilans, des discussions et des propositions.

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Ces journées s’en sont pleinement saisies en dressant une première cartographie d’univers encore dispersés, tantôt tournés vers des enjeux théoriques, tantôt plus insérés dans des activités de terrain. Elles marquent la naissance du domaine des études de la participation du public en démocratie.

Domaine plutôt que champ spécifique, parce que les études de la participation ne s’organisent pas autour d’un paradigme partagé. Au contraire, la 3ème vague des travaux que mentionnait l’appel à communications pour la journée d’études du 21 octobre, est celle du retour du conflit comme objet central, pour dépasser le tropisme procédural de la vague précédente d’observation fine du fonctionnement des dispositifs, et l’étude des conflits va de pair avec un pluralisme des méthodes et des références. Ce pluralisme a été souligné lors du Congrès : par exemple, la place accordée à l’échelle de la participation de S. Arnstein comme balise significative des problèmes abordés par les études urbaines de la participation y a été vivement contestée. Ces discussions ont plus globalement montré la fécondité de lignes de tension qui parcourent et souvent opposent les travaux, comme celle que nous venons de mentionner autour des couples conflit/consensus et processus/procédures. Examinons quelques-unes de ces tensions.

En premier lieu, il faut noter que le domaine des études de la participation se constitue dans le monde francophone (et plus généralement en Europe continentale) sans opposer participation et délibération, théories de la démocratie participative et de la démocratie délibérative — alors que cette opposition est plus structurante dans les références anglo-américaines. On notera en particulier que quelques mois avant son Congrès, le Gis soutenait l’organisation du premier grand colloque tenu en France sur les théories délibératives, le Tournant délibératif. C’est dans un même mouvement que se construisent le domaine des études de la participation et l’audience des théories délibératives. Mais le Congrès a souligné la nécessité de maintenir ouverte la tension entre ces deux points de vue théoriques distincts, alors que les deux concepts fonctionnent trop souvent comme des équivalents. Cette mise en tension passe par une large ouverture internationale des travaux. Le Congrès était de ce point de vue satisfaisant (1/3 d’intervenants et discutants étrangers lors des 2 journées de conférences invitées, Australie, Brésil, USA, Europe, et 1/3 des contributions à la journée d’études).

En second lieu, la mobilisation de la communauté de recherche francophone supposait l’existence d’une masse critique de travaux dans les divers domaines thématiques ou disciplinaires dans lesquels l’étude de la participation s’est d’abord développée : études urbaines, gestion de l’environnement, études des sciences en société, communication, droit public, etc. Le bilan des travaux entrepris pour le Congrès souligne que ce développement était constitutif de communautés disjointes, puisant chacune ses références dans des bibliothèques séparées. Le pari de la création du Gis a été de considérer qu’il y avait néanmoins entre ces travaux des questions communes suffisamment structurantes pour faire converger les dynamiques créées autour des questions de participation du public et de démocratie participative. Le Congrès montre que les études de la participation gagnent en effet à ne pas rester à la périphérie de domaines plus vastes où elles sont cantonnées à n’être que des sous-champs d’application. Il reste à amplifier ce que le Congrès a initié : faire circuler les références, croiser les regards disciplinaires sur les terrains d’études communs, voire bâtir des protocoles d’enquête plus largement partagés pour permettre une plus grande cumulativité des résultats. Mais là aussi, le Congrès a montré l’intérêt de maintenir ouverte la tension entre une approche de la participation structurée autour des questions communes aux travaux du domaine (voir l’introduction du n° 1 de la revue Participations), et les approches de la participation comme objet dérivé de champs disciplinaires spécialisés. Les questions substantielles sur les effets de la participation sur la production de l’urbain, la protection de l’environnement, les sciences et l’innovation, etc., reviennent en force et nourrissent cette tension.

La grande diversité des terrains d’études observée lors du Congrès est une condition pour faire bouger les cadres académiques dans lesquels était traditionnellement saisi l’objet “participation”, et garantir la capacité de mise à distance critique de cet objet qui recouvre trop facilement la multiplicité des formes du social. Le Congrès a également confirmé l’ouverture disciplinaire des activités du Gis : si sociologie et science politique représentaient chacune ¼ des communications ; géographie, aménagement et urbanisme, science économique et gestion faisaient un autre quart ; sciences de l’information et de la communication, droit, philosophie et d’autres disciplines moins représentées, un dernier quart. Il faut toutefois noter l’absence dans le monde francophone de disciplines plus fortement présentes dans les travaux anglo-américains ou hispaniques, la psychologie sociale notamment. Là encore, l’ouverture disciplinaire et la place de domaines aujourd’hui trop peu abordés — les approches historiques, les sciences de l’éducation, les terrains traitant du travail et de l’entreprise —, doit susciter une attention particulière dans la poursuite des travaux du Gis.

Mentionnons enfin une autre caractéristique de ces travaux : leur ouverture au public des praticiens de la participation. Le croisement fécond de l’analyse réflexive des praticiens et des chercheurs questionne le positionnement classique des travaux académiques. L’engagement des chercheurs non seulement dans la théorisation mais dans la mise en place, la conduite ou l’évaluation de dispositifs participatifs est un trait largement partagé par les travaux, ne serait-ce que parce qu’il constitue une voie privilégiée d’enquête et d’accès au terrain. Mais construire ces formes de proximité critique, nécessaires pour offrir aux praticiens une prise de recul interdisciplinaires sur les dispositifs, sur leurs pratiques et modes de faire participatifs, doit redoubler l’exigence réflexive des chercheurs. Le croisement des expériences et des connaissances, l’approfondissement de la confrontation des cadres théoriques de référence, des concepts et des outils, et la discussion réflexive sur le positionnement de nos recherches dans la société, constituent des dimensions centrales de la structuration du domaine des études de la participation, et pourraient sans doute faire l’objet d’un prochain Congrès du Gis.

Au total, le succès du Congrès du Gis (avec la parution du n° 1 en accès libre sur Cairn.info et contenant les textes des 8 conférences prononcées les 19 et 20 octobre) manifeste la maturité du nouveau domaine de recherche francophone des études de la participation. Il s’agit maintenant de transformer l’essai en mettant en travail les diverses tensions repérées, en investissant les nouveaux chantiers nés de cette première confrontation générale des travaux de recherche sur la participation du public et la démocratie participative.

Source : http://www.participation-et-democratie.fr/fr/node/774

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