Indicateurs de développement durable et participation citoyenne : une entreprise paradoxale

Dossier : Démocratiser la mesure : les indicateurs participatifs
Par Paul-Marie Boulanger
Français

Espérant accroître la légitimité des indicateurs de développement durable et favoriser leur utilisation par le pouvoir politique, les scientifiques sont nombreux à plaider pour une implication accrue du citoyen dans l’élaboration et l’interprétation de ces indicateurs. Les arguments invoqués reposent sur des développements récents de la philosophie politique tels que la démocratie délibérative ou la rationalité communicationnelle. Tournant le dos à cette approche essentiellement normative, l’article cherche à mettre en lumière les fonctions latentes des indicateurs ainsi que de la participation. L’auteur mobilise à cet effet la théorie des systèmes et la théorie de la décision de Niklas Luhmann. Cette perspective invite à considérer les indicateurs ainsi que la participation citoyenne comme des stratégies de déparadoxisation des décisions politiques. Il s’agit, pour les uns comme pour l’autre, de masquer le caractère arbitraire des décisions qui les invoquent, d’en déplacer le caractère intrinsèquement contingent vers un autre système chargé d’absorber l’incertitude qui les entoure. En cherchant à objectiver ses décisions au moyen d’indicateurs « fiables et objectifs », le système politique déplace sa contingence vers le système scientifique. Tel est bien le sens de la « gouvernance par les nombres » ou de l’« evidence-based policy ». Tous les domaines ne se prêtent pas si aisément à cette absorption de l’incertitude. C’est le cas avec le développement durable où il n’y a guère de consensus scientifique sur les indicateurs à retenir (le changement climatique faisant toutefois exception). Placé par l’opinion publique et le système politique devant l’obligation de décider en la matière, le système scientifique se dérobe soit en proposant une liste d’indicateurs trop longue et trop hétéroclite pour être vraiment utile, soit en déplaçant à son tour la contingence de ses décisions vers le système politique en convoquant la participation citoyenne. Se pose alors la question de la représentativité des mini-publics mobilisés par la participation citoyenne et celle du couplage entre celle-ci et la décision politique. Ces questions sont abordées à l’aide du concept luhmannien d’épisode.

Mots-clés

  • couplage
  • contingence
  • décision
  • différentiation fonctionnelle
  • épisode
  • forme
  • observation
  • système
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